L’INTERVIEW DU COSMONAUTE, HEROS DE LA FEDERATION DE RUSSIE, ANDREÏ BORISSENKO.
Durant une période de confinement, la vie ordinaire d’une personne continue comme une entité biologique, mais la composante psychologique peut changer considérablement. L’un profite de l’occasion d’être à la maison pour lire des livres auxquels il n’a jamais pu consacrer de temps, un autre va reprendre ses passe-temps, et un autre tourne des vidéos qui racontent comment la routine quotidienne a changé. Nous avons discuté avec le cosmonaute Andrei Borissenko de plusieurs sujets liés à une telle situation de personnes isolées des autres. Il a répondu aux questions de l’association « Linguarik ».
Thème “Formation des cosmonautes en condition d’isolement”
1.Linguarik : Au début de l’ère spatiale, il y avait des tests d’isolement des astronautes dans un espace fermé, la personne étant placée dans une chambre sourde. Quels étaient ces tests ? Pourquoi étaient-ils nécessaires?
Andreï Borissenko : Une chambre sourde est une pièce spéciale complètement isolée du monde extérieur. Elle est généralement étanche, avec des murs insonorisés. Des études physiologiques, psychologiques et autres y sont effectuées. Aucun son extérieur n’y pénètre. Lors des tests, les astronautes doivent effectuer des travaux sur le programme de recherche. L’une des expériences peut être de ne pas dormir pendant trois jours !
Les premiers cosmonautes avaient besoin d’une telle préparation car ces conditions sont très semblables à celles de leurs vaisseaux spatiaux.
Le confinement d’aujourd’hui, bien sûr, n’est pas très similaire à une telle expérience, mais tout le monde peut rêver et s’imaginer à la place d’un candidat cosmonaute.
- Linguarik : Des tests similaires sont-ils actuellement effectués ?
Andreï Borissenko: Oui, chaque candidat cosmonaute doit suivre une telle formation. Mes camarades et moi avons eu l’occasion de travailler dans une chambre sourde. Lorsque cette expérience se termine, vous sortez dans un monde rempli de personnes et de sons. Vous commencez à apprécier la beauté de la musique, la voix des gens et surtout la possibilité de communiquer d’une manière naturelle et proche.
Je pense que tous ceux qui sont maintenant en isolement, après un certain temps, après avoir quitté leur « chambre sourde » provisoire, apprécieront d’une manière nouvelle la communication en direct avec ses amis et sa belle ville. C’est certain, tout le monde tirera quelque chose de cette expérience et partagera avec ses proches de nouveaux sentiments et pensées.
- Linguarik : Notre confinement a lieu avec les membres de la famille. Les astronautes ont-ils eu des expériences de séjour dans des espaces confinés en société ?
Andreï Borissenko: Les tests avec une personne seule visent à tester la stabilité psychologique d’un cosmonaute face à lui-même. Et lorsque les tests réunissent plusieurs personnes, nous appelons cela non pas une société, mais un équipage.
Par exemple, il y a eu des expériences comme “Mars-500”. Un groupe de 6 à 9 personnes a été isolé ensemble pendant toute la durée du « vol » – soit 500 jours.
- Linguarik : Pourquoi appelez-vous cela « voler » ?
Andreï Borissenko : Toute l’humanité se prépare pour de longs vols spatiaux dans le futur vers d’autres corps célestes, vers la Lune et Mars. Les constructeurs – les techniciens et autres spécialistes préparent l’équipement et les scientifiques – les biologistes, les psychologues, les médecins s’occupent des personnes, c’est-à-dire des équipages.
À Moscou, il existe un Institut des Problèmes Médicaux et Biologiques (IBMP), qui étudie la vie humaine dans des conditions qui diffèrent des conditions terrestres. Des expériences d’isolement à long terme y ont été menées, par exemple Luna-2015, Mars-500. Au cours de ces expériences, un groupe de personnes a été isolé pendant toute la durée correspondant au nombre de jours nécessaires à la mission d’un vol virtuel aller-retour vers la Lune ou vers Mars. Des cosmonautes, ainsi que d’autres expérimentateurs, participent également à ces expériences.
Thème ” Les complexités et les joies de l’isolement “
- Linguarik : Andreï Ivanovitch, quelle est la chose la plus difficile pour un candidat cosmonaute lors de sa préparation en isolement ?
Andreï Borissenko: Je pense que cela peut sembler étrange, mais le plus difficile est d’attendre votre tour pour commencer l’expérience. C’est une étape difficile dans la formation d’un astronaute. Vous voulez vous-même comprendre ce que vous valez et quel est votre potentiel. De tels tests montrent une image claire, y compris pour vous-même, de là où sont vos limites. Pouvez-vous gérer seul une situation difficile et aider les membres d’équipage à survivre au-delà cette période ?
Je sais que maintenant les gens qui se trouvent isolés se soutiennent mutuellement par des applaudissements, des blagues sur les raisons de l’isolement et une communication amicale. C’est très important. Ainsi, nous sommes tous un même équipage qui passe un test difficile. Ensemble, nous surmontons la situation, nous nous connaissons, malgré le fait que nous vivons dans différents pays. Je suis allé dans de nombreuses villes françaises accueillantes. Et maintenant, je voudrais vous soutenir dans cette situation difficile.
- Linguarik : L’un des moments agréables de ces expériences est probablement le déjeuner ? Après tout, nous aimons tous manger quelque chose de savoureux. Comment la nourriture est-elle organisée dans les chambres sourdes ?
Andreï Borissenko: Pendant les expériences d’isolement à l’IBMP, il existe différentes options. Par exemple, les expériences « douces », lorsque les sujets reçoivent périodiquement des « colis de la Terre » et des expériences plus « dures », qui sont des expériences d’isolement complet, lorsque les sujets doivent manger uniquement ce qu’ils ont stocké ou cultivé dans leur serre.
Et bien sûr, les repas sont des moments joyeux. Vous pouvez manger et parler avec d’autres membres de l’équipage. Et pendant la conversation, s’entremêlent blague et soutien amical.
- Linguarik : Y a-t-il des divertissements pendant l’entraînement dans la chambre sourde ?
Andreï Borissenko: Malheureusement, il est difficile de s’amuser dans la chambre sourde. Nous travaillons sur un programme serré et il n’y a tout simplement pas de temps pour d’autres sujets.
Je pense qu’à l’heure actuelle, beaucoup ont transférés leur activité en « bureau à domicile » et ceux qui sont en confinement doivent également effectuer soit un travail lié à leur entreprise, soit certaines tâches professionnelles.
En cela, ils sont semblables à nous, les astronautes qui poursuivent une expérience. Les responsabilités avant tout.
Dès qu’il y a un peu de temps libre, il faut passer des moments agréables (Thomas Pesquet en haut à gauche)
- Linguarik : Andreï Ivanovitch, comment ne pas se quereller dans un espace aussi fermé pendant si longtemps ?
Andreï Borissenko: Les équipages spatiaux se préparent pendant très longtemps sur Terre avant de voler. Nous passons beaucoup de temps ensemble pendant les essais. Nous comprenons qui a quelles habitudes, qui aime et n’aime pas quoi. Bien sûr, nous prenons en compte toute cette expérience lors des expériences de vol spatial ou d’isolation.
Nous devons non seulement passer du temps ensemble, mais aussi accomplir les tâches de vol ou d’expérimentation. Et les personnes aujourd’hui en confinement doivent vivre ces jours-ci calmement, effectuer les tâches à remplir, communiquer avec les êtres qui leur sont chers et leurs proches. C’est peut-être le moment d’essayer d’écrire des poèmes les uns aux autres ou de faire des dessins et de les envoyer sur Internet, car les gadgets de l‘informatique vous permettent désormais de ne pas être complètement isolés.
En orbite, dans l’espace, nos enfants nous envoient leurs dessins. Les amis écrivent des lettres, parfois en vers.
Nous devons être plus attentifs les uns aux autres, tenir compte des souhaits de nos collègues. Ce qu’ils aiment, ce qui leur plaît, pas seulement à nous. Nous nous préparons à l’avance pour les quelques jours fériés que nous passerons en orbite – le Nouvel An, le 8 mars, les anniversaires. Nous préparons toujours des cadeaux pour ces dates sur Terre, peut-être quelques petits souvenirs ou des surprises, que nous amenons avec nous dans l’espace et que nous conservons jusqu’à la date des fêtes.
Fabriquez de vos mains de petits cadeaux pour quelqu’un. L’isolement prendra fin, vous vous les offrirez les uns aux autres. Ce seront d’agréables surprises !
Noël à bord de l’ISS. Les cadeaux ont été préparés bien en avance
Thème : “On ne peut s’empêcher de demander à l’astronaute, mais comment est-ce dans l’espace ?”
- Linguarik: Les cosmonautes sont-ils malades dans l’espace ?
Andreï Borissenko: Les cosmonautes sont des gens comme tout le monde. Lors de longues expéditions, tout peut arriver. De nombreux problèmes surviennent dès les premiers jours dans l’espace, au cours de la période dite d’adaptation aiguë. De plus, vous pouvez avoir un rhume en attrapant froid comme sur Terre.
Les moyens de prévenir les maladies – bonne immunité, maintien de la forme physique, respect des exigences des médecins. Chaque jour, nous faisons du sport – il y a tout un équipement sportif dans la station spatiale internationale.
Chaque astronaute suit une formation médicale spéciale et peut fournir des soins médicaux d’urgence. La station dispose d’une merveilleuse trousse de premiers soins et d’une trousse d’outils. Nous pouvons même mettre un plombage dentaire provisoire !
Mais on essaie de ne pas tomber malade ! Nous n’avons pas le temps de tomber malade. Des équipes de médecins au sol nous y aident, nous mettons clairement en œuvre leurs recommandations. Je conseille à tout le monde de faire la même chose maintenant. En respectant les exigences de se laver les mains, de traiter les surfaces avec une solution désinfectante, de réduire le contact avec les autres, les embrassades et de se serrer la main, nous mettrons des obstacles à tout virus. Cette situation prendra fin et nous rattraperons tous les “câlins” manqués.
Et bien sûr, faites du sport. C’est possible sur des simulateurs et un tapis roulant, vous pouvez simplement effectuer une série d’exercices physiques sur le balcon ou devant une fenêtre ouverte. Sinon, après isolement, vous ne rentrerez pas dans vos vieux jeans.
- Linguarik : Peut-il y avoir une épidémie dans l’espace ?
Andreï Borissenko: Pratiquement pas. Nous prenons très au sérieux la possibilité d’introduire une infection dans la station. Avant le vol, pendant environ un mois, les astronautes se mettent en quarantaine. Tous les contacts avec d’autres personnes sont limités. C’est aussi une nécessité. Cela fait partie de la profession.
N’oubliez pas que la conférence de presse avant le vol au cosmodrome de Baïkonour se passe à travers une vitre. Les astronautes sont séparés du reste du monde, mais ils peuvent voir et ressentir le puissant soutien de toutes les personnes présentes.
- Linguarik : Y a-t-il Internet sur la station ? Comment vous amusez-vous ?
Andreï Borissenko: Il y a Internet à la station. Nous pouvons lire les nouvelles, nous utilisons le courrier électronique.
Quant au divertissement, nous avons beaucoup de chose comme sur Terre. Nous regardons des films. Parfois, de nouveaux films nous sont envoyés avant même leur sortie dans les salles de cinéma ! Nous suivons les compétitions sportives. Il y a plusieurs guitares, un ukulélé, une flûte, un saxophone et même un petit piano électronique dans la station.
Tout astronaute peut essayer d’apprendre à jouer d’un instrument qu’il n’a jamais tenu en main sur Terre. Peut-être le faire en secret ? À la fin, surprenez vos amis en jouant « Et si tu n’existais pas. »
- Linguarik : Y a-t-il une bibliothèque dans la station ? Quels livres lisez-vous?
Andreï Borissenko: Les cosmonautes apportent leurs livres préférés avec eux et progressivement une bibliothèque entière se forme à la station. Elle n’est pas très grande, car les livres sont lourds et difficiles à emporter dans l’espace. Récemment, nous utilisons davantage les livres électroniques. Bien sûr, nous lisons nos auteurs préférés ! Pour moi, c’est l’écrivain soviétique de science-fiction Sergueï Pavlov et sa série « L’Arc en ciel lunaire ». J’ai pris une copie papier de son livre avec moi en vol.
Je recommande à tout le monde de lire des œuvres fantastiques. C’est tellement agréable de rêver de visiter d’autres planètes et mondes.
Les livres dans l’espace. Sergueï Pavlov « L’Arc en ciel lunaire »
- Linguarik : Avez-vous des animaux sur la station spatiale ? Si oui, lesquels?
Andreï Borissenko: Malheureusement, il n’y a pas d’animaux dans la station. Mais les animaux viennent parfois vers nous. Il y a eu des fourmis et des souris dans la station. Ainsi, un vrai papillon de Baïkonour a volé avec un lièvre.
Au lieu d’animaux de compagnie, certains astronautes ont des jouets en peluche que nous apportons avec nous. Ils “travaillent” d’abord comme indicateurs d’apesanteur pendant le lancement du vaisseau spatial, puis “vivent” à la station. Maintenant dans le compartiment japonais “Kibo” s’est développé tout un ensemble de jouets spatiaux.
Et Karen Nyberg a cousu en orbite, à partir d’un vieux T-shirt, un petit dinosaure pour son enfant. Et vous aussi, vous pouvez coudre ou faire quelque chose pour vos parents et amis.
Nous sommes des personnes qui nous voulons de la chaleur, du confort, de l’amour. Ce sont nos amis – animaux et jouets – qui égayent tout isolement. Une personne peut être faible, vulnérable et effrayée, mais ressentant le soutien de ses proches, trouvant de bonnes émotions dans des choses agréables et s’appuyant sur les réalisations de la science, une personne devient plus forte et peut survivre elle-même à toute situation difficile et aider les autres.
Télécharger l’interview Interview de Borissenko.fr
REMERCIEMENTS
L’association « Linguarik » remercie infiniment Andreï Borissenko pour sa participation au projet. Propos recueillis par Natalia Borissenko, Elena et Andreï Emelianov que nous remercions vivement.
Photos des archives personnelles d’Andreï Borissenko
Plus d’informations sur Andreï Borissenko : https://fr.wikipedia.org/wiki/Andre%C3%AF_Borissenko
Nous remercions Katia Dracouli et André Volokhoff pour la traduction en français.
Association Linguarik
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